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LE DON D'ORGANES

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Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6333
A Juifjuif que je cite :
Citation:
Bonjour rav Wattenberg,
Je souhaitais vous demander comment la discussion sur l'abstention au registre des refus commence, pourtant une des données de base est qu'il semble que dans notre situation (j'entends dans notre pays), le rov des potentiels bénéficiaires d'un don d'organes seraient akoum, la Torah a pourtant conditionné le dichuy des aveirot dans un cas de pikuach nefesh au fait qu'il soit question d'un ben brith? (Bien sur à la condition qu'il soit question d'un issur véritable de manquer de kavod à son propre corps après la mort- j'en profite pour vous demander quel en est le mekor?)
Il en ressort que dans le rov des cas nous concernant, le don d'organes seraient une 'aveirah (quel que soit son niveau) et dans certainement miuta demiuta, une mitzvah, à partir de là, comment commence le vikuach (concernant les solutions du désaccord médecine/rabbins sur la définition de l'instant de la mort etc)?


Vous écrivez :
Citation:
la Torah a pourtant conditionné le dichuy des aveirot dans un cas de pikuach nefesh au fait qu'il soit question d'un ben brith?

D’où tirez-vous que la Torah ait posé cette condition pour le « dichuy des aveirot » ?? ça a été dit au sujet du ‘Hiloul Shabbat, comment se permettre de l’étendre à tout péché ?

Je vous pose la question autrement : si on vous dit : « parle pendant la ‘Hazarat Hashats, ou je tue cette personne (qui n’est pas Bat Brit) », que faites-vous ?
[et j’ai choisi-là une Aveira parmi les graves péchés, on pourrait poser la même question avec « ne fais pas Mayim A’haronim sinon je tue cette personne »]

Or, il n’est pas ici question de ‘Hiloul Shabbat, mais d’un péché infiniment moins grave : Nivoul Hamet.

Ce n’est pas un Lav min hatorah défini en tant que tel parmi les 613 mitsvot, c’est juste une notion de respect d’autrui que l’on rattache à ואהבת לרעך כמוך.

D’autres déduisent le Issour à partir de celui de הלנת המת.

Il faut respecter les gens vivants, ainsi que ceux qui sont morts.
Mais il est difficile d’affirmer que ce soit un Issour Deorayta et en tout cas, il reste incomparable à celui de Shabbat qui entraîne Mitat Beit Din et Karet, ce qui n’est pas le cas de הלנת המת.

Au point que le Shoel Oumeshiv (I, §231) écrive que l’interdit de Nivoul Hamet ne s’applique que lorsqu’on manque de respect au corps du mort sans raison (=mais pas s’il y a une nécessité).

Je ne veux pas entrer dans les détails ici, ça serait long et fastidieux et surtout ça risquerait d’être imparfaitement -voire mal- compris, mais il y a des tas de responsum traitant de Heitérim constituant un certain niveau de Nivoul Hamet dans certaines conditions.

Ceci pour dire que votre application d’une règle a priori énoncée au sujet du ‘Hiloul Shabbat n’est pas d’actualité ici [même sans avoir recours au fort discuté Méiri (Yoma 84a) qui met à mal votre règle elle-même].

J’ajouterais encore un élément de réflexion en citant une tshouva du grand Rabbi Yossef Messas à ce sujet dans son Shout Mayim ‘Hayim (II, Mayim Kdoshim §109) où il est question d’une greffe de la cornée à partir d’un mort juif vers un non-juif, que le Rav encourage car « cela montrerait l’amour entre les hommes sans distinction de religion, car tous sont les créatures d’Hakadosh Baroukh Hou ».

Rav Messas ajoute encore que c’est une Mitsva et que l’on crédite ainsi le mort d’une Mitsva et qu’il en aura satisfaction dans le monde de vérité.

La question venait du Beit Din de Rabat, ce qui laisse supposer que le bénéficiaire fut musulman et donc respectueux des 7 Mitsvot.
Il est logique d’imaginer que pour un terroriste/bandit qui enfreint les 7 Mitsvot ça puisse être différent, mais on ne peut désormais plus parler de majorité écrasante comme vous le faisiez.

Vous noterez aussi que Rav Messas autorisait cette greffe bien qu’il n’y soit pas question de danger de mort, le patient ne risquait « que » la cécité.
A plus forte raison s’il est question de sauver une vie, selon Rav Messas, on devra opérer un Nivoul Hamet pour cela (même si le bénéficiaire n’est pas juif).

Attention, encore une fois, s’il s’agît de prélever un organe d’une personne en état de « mort cérébrale », comme expliqué plus haut, ce n’est pas autorisé selon les nombreux Poskim qui considèrent que seul l’arrêt cardiaque (ou de la respiration) définit l’arrêt de vie.
Nous parlons donc d’une personne morte SELON la Halakha, par exemple s’il ne respire plus (de manière irréversible) et que son cœur s’est arrêté (de manière irréversible).
C’est dans ce cas que Rav Messas autorise la greffe.

Celle de la cornée ne correspond pas à un danger de mort (=ne représente pas une nécessité vitale) pour le malade, mais celle d’un rein ou de la peau peut être vitale.

Bien entendu, on ne décidera pas seul dans ce domaine, il faut toujours confier le dossier à un Rav Talmid ‘Hakham digne de ce nom, tant les paramètres sont multiples et les situations différentes.


Pour en revenir à votre question, j’indique encore deux choses :

1) le fait qu’il y ait un Rov de receveurs qui ne « seraient » pas éligibles ne suffirait pas à négliger le Miout éligible, car nous parlons de Pikoua’h Nefesh où l’on craint même le Safek du Safek du Safek…

2) ma « pseudo-solution » qui consiste à (sans s’inscrire sur le registre) faire savoir autour de soi et à laisser un document écrit chez soi indiquant « qu’on s’oppose à tout prélèvement SAUF indication contraire de tel ou tel rabbin », peut permettre aussi de faire la distinction entre les bénéficiaires.

Il reste difficile de savoir si le bénéficiaire est ou non un terroriste/malfrat/gangster/assassin, mais il y a toujours l’idée du Rov.

J’ajoute pour finir que Rav Méir Mazouz dans son shiour de motsaé shabbat Tazria Metsora 2 Iyar 5780 – 25 avril 2020 parle de Rav Avraham Yeshayahou Heber (Rav Mazouz prononce Haber, mais il se trompe souvent dans la prononciation des noms ashkenazes, son nom est Heber -même s’il s’écrit Haber chez les anglo-saxons, qui se lira comme Heber), victime du coronavirus, qui est Niftar le 23 avril 2020 à 55ans.
Il était enseignant en yeshiva en Israël. תנצב"ה .

Rav Mazouz raconte que Rav Heber avait ouvert un centre pour greffes de rein en Israël, basé sur le volontariat et motivé par l‘altruisme. Voir ici : https://kilya.org.il/fr/
Au bout de quelques années, Rav Heber a été accusé de réserver les reins aux membres de sa famille et de ne pas offrir de possibilité de greffe aux autres ou aux non-religieux (car de nombreux donneurs étaient religieux « ‘Harédim »).

Il a montré la liste de ses greffés et a prouvé qu’il acceptait de sauver tout malade, que ce soit des non-religieux (« ‘Hilonim ») ou même des non-juifs -en l’occurrence des arabes.

Car en matière de Hatsalat Nefashot (sauvetage de vie), on sauve tout le monde.

Rav Mazouz ajoute : « les arabes ne pourront pas dire qu’on éprouve de la haine envers eux, on sauve tout le monde ».

---fin de citation---

Et pourtant, vous savez quelles sont les tensions entre juifs et arabes en Israël, il eût été facile d’assimiler tout arabe à un terroriste et de lui dire qu’on le contactera lorsqu’on trouvera un donneur compatible...

Concernant notre sujet, vous voyez bien qu’en matière de greffe d’organe on se soucie aussi des non-juifs et ce, alors que nous parlons d’une greffe à partir d’un vivant !
La greffe à partir d’un vivant est d’un certain point de vue plus Me’houdeshet en cela qu’il s’agit de se mettre en danger pour sauver autrui (ce qui n’est pas le cas de la greffe post-mortem).

Du point de vue halakhique il est très grave de se mettre en danger, c’est un véritable issour Torah, alors que le respect du corps d’un mort est une notion de kavod, et ne peut pas se comparer à un danger de mort.

Pour conclure, je répète une nouvelle fois que personne ne doit prendre de décision par soi-même dans ce domaine trop complexe pour permettre des généralités. Que chacun consulte son Rav en lui présentant convenablement sa situation.

Mon présent message n’a pour but que de répondre à votre question et de vous montrer qu’il peut y avoir des aspects qui vous échappaient, mais ce message n’a pas vocation à faire office de Kitsour Halakha, il faudra exclusivement s’en remettre à son Rav pour toute question pratique dans ce domaine.
JUIFJUIF
Messages: 30
bonjour Rav Wattenberg,
Vous écrivez:

1) le fait qu’il y ait un Rov de receveurs qui ne « seraient » pas éligibles ne suffirait pas à négliger le Miout éligible, car nous parlons de Pikoua’h Nefesh où l’on craint même le Safek du Safek du Safek…

Pouvez-vous nous indiquer quel est alors le chiluk avec une banque d'organes qu'on dispose aux tests pharmaceutiques, si à la fin du compte quelqu'un est sauvé par les connaissances/possibilités ainsi dégagées? Vous dites en effet dans l'un de vos posts que cela ne se juge pas au même niveau que le don d'organes directs?
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6333
Pour compléter un peu ce que j’ai écrit plus haut, au sujet des Poskim fixant la mort par l’arrêt respiratoire ou cérébral (mais pas cardiaque), Rav Dovid Feinstein répète sa position et celle de son père Rav Moshé Feinstein, que la définition de la mort, c’est l’arrêt respiratoire, c’est tout.

Et précise que c’est ainsi que les Poskim ont toujours fixé la halakha depuis des siècles, idem pour le ‘Hevra Kadisha qui se basait uniquement sur la respiration, celui qui ne respire plus est considéré mort, même si son cœur bat encore.
Voir interview ici : https://hods.org/halachic-issues/videos/video_rdfeinstein/rabbidovidfeinstein/

Voir aussi à ce sujet Rav Moshé Tendler (gendre de Rav Moshé Feinstein) : https://hods.org/halachic-issues/videos/video_RMosheTendler/

Et Rav Dr Avraham Steinberg au nom de Rav Shlomo Zalman Auerbach : https://hods.org/halachic-issues/videos/video_RSteinberg/RabbiSteinberg_RabbiShlomoZalmanAuerbach/
(rav Auerbach ne se contente pas de l’arrêt respiratoire, il faut aussi la mort cérébrale. Mais il ne s’intéresse pas à l’arrêt cardiaque)

Voir encore ici : https://hods.org/halachic-issues/faq-halachic/#q2
pour les opinions citées du
Noda Biyehouda,
Sridei Esh,
Mayim Haim,
Malki Bakodesh,
‘Hazon Ish,
Mishpetei Ouziel
.
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6333
2eme message :

A JUIFJUIF que je cite :

Citation:
bonjour Rav Wattenberg,
Vous écrivez:
1) le fait qu’il y ait un Rov de receveurs qui ne « seraient » pas éligibles ne suffirait pas à négliger le Miout éligible, car nous parlons de Pikoua’h Nefesh où l’on craint même le Safek du Safek du Safek…

Pouvez-vous nous indiquer quel est alors le chiluk avec une banque d'organes qu'on dispose aux tests pharmaceutiques, si à la fin du compte quelqu'un est sauvé par les connaissances/possibilités ainsi dégagées? Vous dites en effet dans l'un de vos posts que cela ne se juge pas au même niveau que le don d'organes directs?


Très bonne question !

Voici l’élément capital défini par les Poskim :
On pourrait toujours imaginer un Safek Sfeik Sfeika et supposer tout et n’importe quoi et ainsi systématiquement tout autoriser, ‘Hiloul Shabbat compris [exemple : je peux prendre ma voiture le shabbat, car "peut-être" qu’en chemin je vais tomber sur une personne malade et en danger que je pourrais secourir…].

Il y a donc nécessairement un Guéder, un élément indispensable pour pouvoir tenir compte/considérer les Sfeikot.

Cet élément, c’est « ‘Holé Befaneinou », qu’il y ait « devant nous » un malade (ou « devant toi » selon l’expression du Noda Biyehouda), c-à-d que le danger soit avéré.
Dans ce cas, on enfreint, même pour un Safek Sfeik Sfeika.

Par exemple : je sais qu’il y a un malade en danger, mais je ne suis pas sûr du tout que mon ‘hiloul shabbat pourrait finalement le sauver, je dois quand même tenter.
Ou bien, je sais qu’il y a un malade en danger, mais je ne suis pas sûr du tout que la greffe va marcher, je dois quand même tenter.

Et même si le Safek est sur l’existence du malade et qu’il est possible qu’il n’y ait en réalité aucun malade, mais s’il y a une raison de supposer l’existence du malade, c’est pareil.
Par exemple, ce dont parle le Talmud dans Yoma (Mishna Daf 83a) : si une maison s’est écroulée sur quelqu’un, on transgressera shabbat pour l’en sortir, même si on a un doute sur la possibilité qu’il soit encore vivant, même si on a un doute quant à son identité (par exemple si on ne sait pas si c’est un terroriste ou non), et la Mishna dit aussi « même si on a un doute s’il était dans la maison au moment où elle s’est écroulée ( ספק הוא שם ספק אינו שם) », c-à-d que même si le doute est sur l’existence même du danger pour une personne, nous allons considérer le cas comme celui où le danger est avéré et « devant nous », car il y a une raison de douter -ce qui n’est pas le cas lorsque je décide de prendre ma voiture à shabbat en me disant « peut-être qu’en chemin je vais tomber sur une personne malade et en danger que je pourrais secourir ».

Idem s’il s’agit de prélever des organes d’un mort pour les placer « à la banque » et faire des tests pharmaceutiques; tant qu’il n’y a pas de personne en danger « devant nous », on ne le fait pas.
Mais s’il y a une raison de penser qu’il y ait une personne en danger, même si on a un doute sur son identité ou sur son état (qui serait irréversible), on transgresse et on prélève.

[Il y a des discussions chez les Poskim pour savoir comment considérer un grand pays où l’on peut supposer qu’il y ait à chaque instant un malade de telle maladie mortelle et si l’on trouvait un médicament, ça le sauverait.
Ça serait comme si le malade était « devant nous ».
Peut-on dans ce cas prélever des organes pour faire des tests pharmaceutiques?
Là, s’ouvre un autre champ de définitions à donner, sur l’utilité même de l’action.

Nous avons parlé plus haut de celui qui prend sa voiture en se disant qu’il y aura peut-être un malade en danger sur son chemin, c’est un Safek dont on ne tiendra pas compte car le danger n’est pas « avéré », il n’y a aucune raison d’imaginer qu’il rencontre ce malade, c’est trop lointain.
Mais il faut aussi définir l’utilité de la démarche (même dans le cas où il y a un danger avéré et un malade devant nous) ; par exemple, celui qui dit : j’allume ma cigarette à Shabbat car il y a un malade à côté de moi (en danger de mort, avéré) et « peut-être » que respirer un peu de nicotine au mois de mars pour un patient roux sportif de 82 kg qui est gaucher, qui a un taux élevé de cholestérol HDL de plus de 0,60 g/l et une légère myopie à l'œil droit depuis ses neuf ans, est un remède encore méconnu que nous allons découvrir grâce à mon expérience salvatrice.
Peut-être ?...

Là, nous ne tiendrons pas compte de cette « éventualité », jugée bien trop improbable, c’est clair (sans quoi, encore une fois, il n’y aurait plus de Hilkhot Shabbat du tout, car TOUT peut s’avérer safek sfeik sfeika etc.).

Pour les tests pharmaceutiques c’est pareil : si on a un malade devant nous et qu’on a déjà une piste pour un médicament, seulement il nous manque encore UN test et grâce à ce test on pourra savoir comment le guérir, oui, c’est autorisé. Mais généralement, ce n’est pas ce dont il s’agit (même si ce test pourra permettre de faire avancer -à pas de fourmi- la médecine).]
Rav Binyamin Wattenberg
Messages: 6333
J'indique encore un Maassé avec le Rav Kanievsky père, qui indique bien le problème en s'inscrivant au registre du refus.

Voyez dans Hasteipler (p.210-211) une femme était décédée et les médecins voulaient l'opérer pour analyser et retrouver la raison du décès.
Les « askanim » disaient de ne pas laisser opérer le corps de la défunte, et le Steipler criait l’inverse car il y avait une possibilité que d’autres femmes qui ont pris le même traitement soient en danger.

On y voit le reflexe immédiat des Askanim d'interdire religieusement (alors que les médecins avaient expliqué que d'autres femmes prenaient le même traitement et qu'il était donc nécessaire de savoir s'il leur faisait courir un danger), tandis que le talmid 'hakham, le Steipler, a considéré leur position contraire à la Torah et était d'avis d'autoriser (et d'encourager) l'autopsie.

Comprenez donc que si elle s'était inscrite sur le registre du refus (qui n'existait pas à cette époque), le Steipler le lui aurait aussi reproché.
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